Un etranger au bout du monde 6
Mardi 27 mars, soir
Je suis maintenant en route avec Loïc pour la gare routière de Guangzhou. Un petit coup de fil à ma môman pour ses 50 ans et je regarde une dernière fois Canton de nuit. Arrivé près de mon bus Loïc reconnait 2 amis à lui, un chinois et une vietnamienne qui sont en fait 2 français ! Il s’avère qu’ils prennent le même chemin que moi, celui qui mène à Yangshuo, village de campagne (ici quand on dit village c’est 300 000 habitants…). Loïc m’embrasse et nous quitte, demain il bosse, on se revoit vendredi à l’aéroport. On commence à faire la queue, il y a des chinois partout autour de nous, le bus va être plein, ça va cracher dans tous les sens, je vais sûrement me retrouver à côté d’un gros qui prendra toute la place, le dossier de mon siège sera probablement cassé et je n’arriverai pas à l’incliner, les gens autour de moi vont ronfler. En fait, il n’en est rien, les chinois montent dans un bus, nous dans un autre. Enfin heureusement que nous avons vérifié 3 fois auprès de 3 contrôleurs différents… comprennent rien… Du coup nous voilà avec un beau bus et une hôtesse, rien que pour nous 3 ! Le chauffeur démarre le moteur et me voilà parti, seul sans mes amis, direction l’inconnu.
Les deux premières heures défilent lentement. J’ai faim, j’ouvre un paquet de chips, l’odeur est bizarre, le goût aussi. Je n’y fais pas attention, ça doit être des chips goût crevette-poisson-moule-huître…courant ici… A la moitié du paquet, pris d’un doute je regarde la date de péremption. Merde, déjà un mois trop tard. Le deuxième paquet c’est pareil. Je laisse tomber, je prendrai un bon petit dèj en arrivant.
Premier arrêt pipi. C’est un moment que j’attendais avec impatience ! Non pas que j’avais une envie très pressante, mais juste parce que Loïc et Pitchoune – qui était en Chine l’année dernière – m’avaient dit que c’était un moment à vivre : respirer l’odeur des chiottes. De ma vitre je vois l’entrée des toilettes. J’enlève mes écouteurs, me lève et sors du bus. Je dois être à plus de 10m de la porte des waters que les effluves de pisse stagnante me brûlent déjà les narines. Mon appareil photo en main pour immortaliser ce moment j’approche de l’endroit nauséabond. A chaque pas je coupe de plus en plus ma respiration. J’entre, allume le numérique et… ressort. Impossible. Il est impossible de rester dedans plus de cinq secondes. L’odeur est insoutenable. J’imagine que rien n’a jamais été lavé. C’est indescriptible, il faut le vivre pour s’imaginer la puanteur du lieu. Et ceux qui ont été peuvent en témoigner, je n’exagère pas. En tout cas ce n’est pas ici que je vais sortir mon zizi.
Le bus redémarre, je remets les écouteurs dans mes oreilles, Archive, Arno, Marilyn Manson, Stereophonics, Noir Désir, Muse, Cali, les White Stripes, Blankass, les chansons s’enchaînent et je ne dors toujours pas, il est 3h du matin. De toute façon comment fermer les yeux avec une route aussi chaotique ? Les usines qui fabriquent les suspensions pour les bus doivent faire fortune en Chine. Nous ne sommes pas sur une route mais sur des trous, juste des trous. 1 heure plus tard c’est une nouvelle pose pipi. Cette fois l’envie est là. Je descends du bus tout terrain, inspire doucement, rien. J’inspire plus profondément, toujours rien. Je me dirige donc en toute confiance vers les commodités quand un rat passe devant moi. Le doute s’installe et l’odeur arrive enfin à mes narines. J’avoue que ce n’était pas pire que ma première expérience, mais une fois de plus je n’ai pas pu, la gerbe remontant le long de mes parois digestives. Pas grave, j’arrive bientôt, je ne suis pas une fille, j’ai une vessie de taille normale et une volonté d’enfer pour ne pas me pisser dessus.
Vers 6 heures j’ouvre les yeux en essuyant la bave qui coule au coin de ma bouche, j’ai dû m’assoupir. Je regarde dans le bus, les autres dorment, je regarde dehors et je vois ce spectacle ahurissant, ces montagnes, ces pics qui sortent de la terre, disséminés autour de moi dans une anarchie totale. J’arrive à Yangshuo, je commence à rêver.
Je sors du bus et me voilà déjà alpagué par une personne qui veut absolument que j’aille dans son hôtel. Je réponds que non, j’ai déjà une chambre réservée dans une guest house, chez Amy. Il insiste, je commence à m’énerver. Il faut dire que dans ce pays chaque touriste est une proie facile pour tout et n’importe quoi. Mais moi j’ai déjà fait
Mon premier arrêt se situe à
Bon, maintenant que mes potes doivent s’être bien marrés en lisant ces dernières phrases et en me traitant de tapette, et maintenant que les filles me trouvent tellement romantique et sensible, je continue mon histoire… J’arrive dans ce petit village, pas très beau mais encore une fois dépaysant. Les gens travaillent, soudent des cages en métal, réparent des vélos, coupent du bois, vendent des fruits devant leurs bicoques, ouvertes sur la rue. J’arrive à un premier croisement, regarde les panneaux sans aucun espoir de les comprendre et devine qu’il faut que je prenne à gauche. Je pédale quelques minutes quand un homme me dépasse. Je lui demande mon chemin en lui montrant la pseudo carte que j’ai dans la poche. Il me dit de le suivre. Je m’exécute. C’est au moment où il bifurque vers un tout petit chemin menant à un minuscule village que je commence à douter. Il me voit ralentir puis m’arrêter et reviens me chercher, il veut que je le suive, je ne lui fais pas confiance, il repart. Une dame arrive, elle me confirme les dires du chinois, je rentre alors dans le village. J’avance au hasard, suivant mon instinct. Je rattrape l’homme, le dépasse et arrive au premier monument que je voulais voir, le pont du dragon, un pont en pierres passant au dessus d’une grande rivière. Je sors mon numérique, photographie l’homme pieds nus dans l’eau pêchant d’innombrables bouteilles et sacs en plastique, les dames faisant leur lessive sur les pierres au bord de l’eau, les gentilles vieilles souriantes sur le pont, les enfants faisant le signe de la victoire. Je comprends aussi pourquoi mon pot de colle insistait, il veut me vendre une tournée en bamboo boat sur la rivière. Je négocie et pour 2/3 du prix de départ mon VTT est placé à l’arrière du fauteuil en bambou qui m’accueille. Une fois ses chaussures enlevées l’homme se retrouve derrière moi, un long bâton à la main. Je précise que c’est pour diriger le bateau.
Les paysages défilent lentement autour de moi, les seuls bruits entendus sont ceux des oiseaux, de la rivière et du bambou de mon capitaine navigateur en chef pénétrant dans l’eau. Arrive la première chute. C’est pas un truc énorme, mais assez pour que je flippe pour mes habits, mes chaussures, ma santé (l’eau est quand même pas la plus propre du monde) et surtout mon appareil photo ! Tching Tchong maîtrise, j’ai juste eu à lever les jambes pour ne pas qu’elles baignent dans l’eau restée sur le bamboo boat. Pendant une heure et demie c’est le calme et la sereinité autour de moi. Seul petit dérangement dans le silence, celui d’un touriste chinois me prenant en photo. Il me demande de lui faire un signe, je fais le signe de la victoire comme ils aiment tous le faire ici, il paraît content. C’est marrant comme le fait d’être blanc, blond, les yeux bleus, avec de la barbe peut provoquer en Chine. Je suis pourtant banale ! Mais si différent pour eux… Une chose est sûre, être en Chine c’est bon pour le moral et pour se sentir mieux dans sa peau. Par contre je vais mettre à terre un cliché, les chinois ne sont pas si petits ! Certes je suis souvent le plus grand mais que de quelques minuscules centimètres ! Pareil pour les filles, j’en ai vu des grandes, je n’ai d’ailleurs pas eu l’impression qu’elles étaient plus petites que les européennes. Plus poilues peut-être…
Il est 14h et je commence à me dire qu’il faut que je mange à un moment donné. Le tour que je voulais faire étant quasi terminé je décide de retourner vers la ville. 20 minutes de pédalage rapide au milieu de la route, de ses camions d’un côté et des champs de l’autre et je rentre dans Yangshuo. Je croise des enfants portant tous la même casquette, je pense qu’ils rentrent de l’école, j’en arrête 4 et leur demande si je peux les prendre en photo. Bien sûr ils acceptent, ils sont contents ! Petit signe de victoire à l’unisson et je montre mon cliché provoquant rires et moqueries envers un de leur camarade. Je les quitte en les remerciant et cherche un petit resto.
En fait quand je dis resto ce n’est pas tout à fait ça. Aujourd’hui je ne veux pas manger assis à une table avec une nappe, mon plat préparé en cuisine, je veux manger comme les chinois le font. Je trouve donc un endroit. Des gens sûrement en pause déjeuner s’empiffrent de riz et de plats chinois dans un abris donnant sur la grande route. Les 2 seuls murs de la pièce sont couverts de graisse, de bas en haut, le sol est jonché de bouts de poulet, d’os, de nouilles, les tables sont noires. La dame qui prépare les repas est debout, des marmites en tôle presque rouillées reposant sur des cales en pierre, le feu les chauffant au milieu. Les aliments sont posés sur une table à côté : boulettes de viande, légumes, nouilles, riz, viande crue, des mouches survolant le tout. C’est exactement ce que je voulais ! Et oui, ce jour là je veux être un aventurier. Je choisis donc quelques légumes verts, évite la viande crue (courageux mais pas téméraire) et prends quelques boulettes. Le tout est mélangé dans la marmite, avec les nouilles. 2 minutes plus tard je suis servi. Encore une fois des yeux restent fixés sur moi. Mais que fait ce blanc ici ??? Je finis mon repas et règle la note : 7 yuans… 70 cents… c’était pas le meilleur repas chinois de mes vacances, loin de là, mais en France pour 10 fois ce prix il y a peu de chance de trouver meilleur et aussi bourratif !
Je comble les quelques minutes me séparant de mon « resto » et de ma guest house en flânant dans la rue marchande. Cette rue est appelée rue des étrangers par les locaux car c’est la plus touristique. Les magasins de souvenirs et les bars se côtoient sur
Je me retrouve aux pieds du Moon Hill. Ce trou dans la roche est loin au-dessus de moi. Ticket d’entrée payé je peux enfin gravir les centaines de marches qui y montent. Une vieille femme me demande si je veux de l’eau ou des cartes postales, je lui réponds que l’eau j’en aurai peut-être besoin au retour. Je déteste qu'on me force la main. Je commence mon ascension, elle me suit. Alors là cocotte tu vas pas faire long feu, je vais vite te lâcher ! J’accélère mes pas, montre les marches deux par deux, je suis un sportif après tout et j’adore être à fond. Cinq minutes plus tard mes jambes me font mal, je transpire toute l’eau bue durant toute l’année écoulée (au moins) mais je continue mon effort, après tout ce n’est pas à 15 km ! Je croise alors une dame et ses deux enfants. Elle me regarde et me dit de me calmer, c’est encore loin !!! De toute façon là vieille est larguée, je peux ralentir. Mais pas trop non plus, je fais mon sport et j’ai la forme ! Effectivement de longues minutes plus tard je me trouve en plein milieu du trou (imberbe), plus que quelques mètres et je suis en haut ! Les gouttes tombent, pas de pluie, ça vient du rocher. Ca fait du bien. Dernière marche, la vue se découvre devant mes yeux, des pics à l’infini, noyés dans le brouillard lointain, j’y suis. Tout d’abord je remets le graveur en marche dans mon cerveau afin de ne jamais oublier. La rivière longée pendant des heures serpente entre les champs, les habitations au loin sont minuscules. Deuxième étape l’appareil photo, je mitraille au cas où mon cerveau me fait défaut (mon quoi ?). Dernière étape, et pas des moindres, je cherche un endroit stable pour mon numérique. Le sol est rocailleux, je trouve un emplacement, appuis sur le bouton timer, cours, me positionne et… baisse mon pantalon ! Petit plaisir personnel me rappelant ma jeunesse et souvenir pour les copains, j’ai montré ma lune sur le Moon Hill !
Pause cigarette après tant d’émotions, des autrichiens arrivent, petite discussion, et voilà que la vieille larguée 45 minutes plus tôt débarque !!! La pauvre, elle a continué à me suivre. Ok pour une bouteille d’eau, mais non sans avoir négocié le prix ! Une fois hydraté il est temps de redescendre. Premiers pas et première surprise, une mauvaise, un serpent vert, fin et long se promène à
Une fois en bas : pause clope ! Oui oui je sais… Je discute ensuite avec une dame qui cherche à me vendre cette fois des cartes postales ! Allez ok, va pour les cartes. Après ce sont deux jeunes chinoises qui veulent une photo avec moi. Suis un mec cool, je m’exécute ! C’est après un pissou que je croise mes deux compagnons de bus. Nous discutons un peu, partageons nos expériences de la journée – et je suis content de tout ce que j’ai fait du coup – puis je les quitte. C’est au moment où j’enlève le cadenas de mon vélo que je croise la chinoise rencontrée plus tôt. Quelques mots échangés, elle n’a pas vu de serpent – qui d’après la vieille dame et suite à mon incroyable description détaillée était dangereux – et un homme la rejoint. Ok, elle n’est pas seule, je n’insiste pas. Je les salue et reprends la route direction d’Aishan, village de paysans.
Me voilà une fois de plus à chercher mon chemin. Et une fois de plus personne ne peut me répondre. Je regarde autour de moi, cherchant désespérément voir une route et je retrouve le couple de chinois. Allez, peut-être qu’eux connaissent. La réponse de la chinoise me fait plaisir, ils y vont, le mec est en fait son guide et elle me propose de les suivre ! C’est donc tout sourire que j’enfourche mon VTT à suspension hydro active contrôlées de la mort qui tue que même Jeannie Longo en est malade et j’entame la discussion ! C’est là que j’apprends qu’Angelina, c’est son prénom, est d’origine de Singapour, qu’elle a vécu dix ans au Danemark et qu’elle vit maintenant à Londres depuis une décennie ! Elle travaille pour
Retour à Yangshuo, pause cigarette à trois cette fois ! Devant nous c’est la rivière Li River et non loin de là on peut y voir un spectacle son et lumière tous les soirs. J’en ai entendu parler et compte y aller. Angelina n’avait pas ça au programme mais j’arrive à la convaincre que c’est à faire. Retour à l’hôtel, douche en 4e vitesse, je rejoints ma nouvelle copine pour prendre le bus. Nos billets ont été achetés par le guide, à tarif réduit grâce à ses connaissances. Nos places repérées nous nous retrouvons assis en face de l’eau, la nuit étant tombée depuis quelques minutes. Le spectacle commence. De la fumée, des lumières, des effets d’optique, des hommes en costumes magnifiques sur des barques, des chanteuses traditionnelles brisant le silence de la nuit, ils doivent être au moins 300 figurants à participer à ce spectacle magique, dans un décors de pics illuminés majestueux. Angelina ne regrette pas de m’avoir suivi, il fallait vraiment voir ça. Par contre petit coup de gueule contre les chinois, il n’y a eu que très peu d’applaudissements, nous étions presque les seuls !!! Qu’est-ce que c’est que cette culture où les gens qui font des efforts ne sont pas récompensés ??? Nous ne comprenons pas et retournons vers la ville.
Les magasins sont ouverts jusqu’à pas d’heure, nous en profitons. C’est tout l’avantage de la vie en Chine par rapport à celle en France. Aujourd’hui quand je rentre chez moi après le boulot tout est fermé, pas de shopping possible, pas d’administration (remarque même en rentrant plus tôt…), c’est à peine si j’ai le temps de faire des courses ! En Chine c’est ouvert de 7h du mat’ (voir avant ?) à minuit ! Besoin de médicaments pour enlever le mal de crâne provoqué par la non compréhension incessante des chinois ? Besoin de sel et la jolie voisine n’est pas là ? Besoin de préservatifs parce que la jolie voisine est à la maison ? Besoin de mouchoirs parce que la jolie voisine venait juste chercher du sel ? Tout est ouvert, tout est trouvable, tout est là, à proximité.
J’aide Angelina à avoir des prix convenables en faisant le petit copain qui est saoulé et qui ne veut rien acheter, je descends les prix pour mes souvenirs et cadeaux à moi, c’est bon, une bonne chose de faite ! Et surtout j’ai la dalle. Nous repérons une place où les tables sont sorties, les cuistots faisant à manger au milieu, sur des carrioles rouillées, c’est là que nous allons manger ! Au menu : poisson et dim sum. Les poissons sont en train de nager tant bien que mal dans une bassine posée par terre, un bras s’y plonge, en attrape un, l’assomme à coup de massue et le découpe, lui arrachant les boyaux à la main sur un papier journal. Nous sommes assis à table, buvant une tsingtao pas fraîche, ressassant notre belle journée et parlant de nos vies respectives, nos métiers, nos amis, nos vacances, nos souvenirs, nos expériences, belles ou douloureuses. Le poisson arrive, je prends mes baguettes – Angelina est impressionnée par tant de maîtrise, trop la classe – et je déguste. Mes amis, je suis en train de manger le meilleur poisson de ma vie. Un régal ! La peau est grillée à souhait et l’intérieur si frais ! Si Ordralfabétix en avait eu des comme ça le village d’Astérix aurait été bien ennuyeux ! Les dim sum eux sont aussi particulièrement bons et en quantité ! Surtout pour 40 kuai (autre nom pour la monnaie locale)… La promenade digestive qui suit est sportive ! Quand en France on paie 300 euros pour courir ou faire du rameur ici c’est gratuit, tout est dans la rue ! Step ou appareils de muscu ? Au bord de la route ! Bien sûr après s’être encore un peu fatigué il faut reboire. Angelina veut du vin ? Et bien soit. Petit bar, blanc pour elle, rouge pour moi. Pas de vin français, hors de prix ici, c’est un californien. Et bien sûr il est dégueulasse. Pas grave, il se fait (très) tard et j’ai convaincu Angelina de me suivre demain pour les terrasses de riz, va falloir se lever tôt, le rêve n’est pas terminé…
Deuxième partie à suivre…
Ga